vendredi 31 janvier 2014

Le courage du soldat


" Le courage du soldat est inséparable de celui des autres. Il fait partie d'une chaîne humaine, et il n'y a pas de salut individuel. C'est pourquoi le courage est pour lui un sentiment qui s'organise, qu'on entretient comme des fusils. On lui dit de se battre et il se bat. On lui dit de mourir et il meurt. Il pratique cet étrange courage qu'il faut pour basculer de l'autre côté de la vie sans une larme.

Les soldats qui vous disent qu'ils n'ont jamais connu la peur vous mentent. Ou peut-être ont-ils traversé la guerre en zombies. c'est l'incandescence qui porte le soldat et ce courage là ressemble à une expérience mystique : pour que la lumière jaillisse, il faut bien qu'un peu de soi brûle et se consume. Teilhard de Chardin a écrit : " Tous les enchantements de l'Orient, toute la richesse spirituelle de Paris ne valent pas la boue de Douaumont." Il avait compris l'humilité déchirante de la guerre.

Le soldat connaît un combat intérieur dont il ne parle pas. Il y a d’abord ces interminables heures d’attente et de transport, l’anxiété, les tripes nouées, ces vagues pensées que l’on remue sur   le destin, l’absurdité de la vie, sa fragilité; ces souvenirs que l’on écarte pour ne pas faiblir. Il y a ces lieux inconnus que l’on scrute avec intensité, ces marais humides dans lesquels on va jouer sa vie, l'ennemi insaisissable qui se tient là, à deux kilomètres derrière ces plumeaux de palmiers, à l'autre bout du monde.

Hélie Denoix de Saint Marc, à gauche sur la photo, publiée avec l’autorisation aimable de Ronan de Bellecombe
Et puis l'assaut, dans les clameurs qui donnent du courage... L'action brutale où la peur n'a pas sa place... L'inconscience, la rage, parfois le corps à corps, les gestes seconds, la lucidité de médium, la violence qui se libère en soi, les flammes qui sortent des armes et fendent l'air...

Les minutes s'impriment dans la mémoire comme dans la cire. Après, le film se déroule encore et encore. Le soldat a le cerveau d'un accidenté de la route, qui vient de quitter l'asphalte et qui, de tonneau en tonneau, revoit des images en accéléré. 
Les mains des camarades qui se lèvent, les regards muets, les tires, les hurlements, les mots crus et simples des hommes après le danger... Et puis ces soirs désolés où l'on compte les morts. Ravaler ses larmes, enfouir sa tête dans ses mains, serrer les poings. Et de nouveau attendre...

Ce long compagnonnage avec le courage m'a été utile en prison et lorsque je suis tombé malade, à la fin des années soixante dix. Les heures tombaient une à une dans le silence. Je m’avançais sur les rebords du vertige, lorsque la tentation de céder était trop forte. Je pensais alors à la nuit du tunnel et à mes frères de malheur, aux heures d'attente dans les carlingues avant de sauter, et à ma mère devant son ouvrage, avec son aiguille, point par point, dans la lumière pâle de l'hiver. Alors je marchais intérieurement, une respiration après l'autre, pour atteindre la terre ferme, où l'angoisse lâchait prise.

Ce courage-là me sera sans doute nécessaire en approchant de la mort. J'ai suffisamment vécu pour savoir que mes victoires passées ne me garantissent pas contre l'affolement final. Chacun rejoue sa vie jusqu'à la dernière seconde. C'est sans doute à ce moment là qu'il me faudra retrouver une dernière fois, le courage de ma mère, son sourire et son regard vert."


Hélie Denoix de Saint Marc, "Les sentinelles du soir" Les arènes 1999

Photo publiée avec l’autorisation aimable de Ronan de Bellecombe




mardi 28 janvier 2014

Que dire à un jeune de vingt ans


"Quand on a connu tout et le contraire de tout,
quand on a beaucoup vécu et qu’on est au soir de sa vie,
on est tenté de ne rien lui dire,

sachant qu’à chaque génération suffit sa peine, 
sachant aussi que la recherche, le doute, les remises en cause
font partie de la noblesse de l’existence.

Pourtant, je ne veux pas me dérober,
et à ce jeune interlocuteur, je répondrai ceci,

en me souvenant de ce qu’écrivait un auteur contemporain :

« Il ne faut pas s’installer dans sa vérité 
et vouloir l’asséner comme une certitude,
mais savoir l’offrir en tremblant comme un mystère ».

À mon jeune interlocuteur,

je dirai donc que nous vivons une période difficile où les 
bases de ce qu’on appelait la Morale
et qu’on appelle aujourd’hui l’Éthique,

sont remises constamment en cause,

en particulier dans les domaines du don de la vie, 
de la manipulation de la vie,

de l’interruption de la vie.

Dans ces domaines,

de terribles questions nous attendent dans les décennies à venir. 
Oui, nous vivons une période difficile

où l’individualisme systématique,

le profit à n’importe quel prix,

le matérialisme,

l’emportent sur les forces de l’esprit.

Oui, nous vivons une période difficile
où il est toujours question de droit et jamais de devoir 
et où la responsabilité qui est l’once de tout destin, 
tend à être occultée.

Mais je dirai à mon jeune interlocuteur que malgré tout cela, 
il faut croire à la grandeur de l’aventure humaine.

Il faut savoir,

jusqu’au dernier jour,

jusqu’à la dernière heure,

rouler son propre rocher.

La vie est un combat

le métier d’homme est un rude métier. 
Ceux qui vivent sont ceux qui se battent.

Il faut savoir

que rien n’est sûr,

que rien n’est facile,

que rien n’est donné,

que rien n’est gratuit.

Tout se conquiert, tout se mérite.

Si rien n’est sacrifié, rien n’est obtenu.

Je dirai à mon jeune interlocuteur

que pour ma très modeste part,

je crois que la vie est un don de Dieu

et qu’il faut savoir découvrir au-delà de ce qui apparaît comme l’absurdité du monde, 
une signification à notre existence.

Je lui dirai

qu’il faut savoir trouver à travers les difficultés et les épreuves, 
cette générosité,

cette noblesse,

cette miraculeuse et mystérieuse beauté éparse à travers le monde, 
qu’il faut savoir découvrir ces étoiles,

qui nous guident où nous sommes plongés

au plus profond de la nuit
et le tremblement sacré des choses invisibles.

Je lui dirai

que tout homme est une exception, 
qu’il a sa propre dignité

et qu’il faut savoir respecter cette dignité.

Je lui dirai

qu’envers et contre tous

il faut croire à son pays et en son avenir.

Enfin, je lui dirai

que de toutes les vertus,

la plus importante, parce qu’elle est la motrice de toutes les autres
et qu’elle est nécessaire à l’exercice des autres,
de toutes les vertus,

la plus importante me paraît être le courage, les courages,

et surtout celui dont on ne parle pas
et qui consiste à être fidèle à ses rêves de jeunesse.

Et pratiquer ce courage, ces courages, 
c’est peut-être cela

« L’Honneur de Vivre » "

Hélie de Saint Marc


L'énigme des femmes



samedi 25 janvier 2014

Les barricades de la colère


Alger 1960, Dans le jeu de poker menteur mené par De Gaulle, l'Algérie française qui lui a offert la possibilité de revenir au pouvoir en 1958, se sent trahie par un gouvernement qui négocie avec l'ennemi, pourtant battu militairement sur le terrain. Le désarroi devient colère puis insurrection, et les barricades vont se lever du 24 janvier au 1er février 1960 consommant définitivement la fracture entre l'Algérie et la France qui " a laissé dans l'affaire une part de son âme et de son génie propre" 

Ainsi s'ouvrait le dernier acte d'un drame dont les plaies, sous le sel de la trahison saignent encore aujourd'hui.

Article publié initialement sur le blog "Tradition" le 25 janvier 2014

vendredi 24 janvier 2014

Le miroir de notre perception intérieure

Les montagnes de Nghia Lo


Hélie de Saint Marc en Indochine
De juillet 1951 à mai 1953, le capitaine Hélie Denoix de Saint Marc effectue son deuxième séjour en Indochine. Affecté au 2ème Bataillon Etranger de Parachutistes du Capitaine Raffali, il y commande la CIPLE (Compagnie Indochinoise Parachutiste Légion Étrangère), composée de volontaires vietnamiens.

Au cours de ce séjour, Hélie Denoix de Saint Marc participe à des opérations d'envergure menées par le corps expéditionnaire français d’Extrême Orient que le Général De Lattre vient de reprendre en main en décembre 1950, après les graves revers subis sur la RC4 (Dong Khê, Cao Bang, That Ke notamment)

Le général Giap, grisé par la bataille victorieuse de la RC 4, lance précipitamment ses divisions Viêt-minh au début de l'année 1951 dans une grande offensive au Nord Ouest d'Hanoï...

C'est d'abord la bataille de Vinh Yen du 13 au 18 janvier 1951 où le Viêt-minh est écrasé, puis la bataille de Mao Khé du 29 au 31 mars 195, où le Viêt-minh est repoussé. Face à la résistance victorieuse des français, Giap se tourne vers la région du Delta où il lance sa troisième offensive, c'est la  bataille du Day, du 29 mai au 7 juin 195, où là encore les français repoussent victorieusement les attaques nocturnes des viets.

Depuis que le Viêt-minh, a abandonné la guérilla pour des offensives de grandes envergures la guerre d'Indochine a changé de dimension, let malgré ses défaites Giap, fort de ses effectifs pléthoriques se jette fin septembre 1951, dans une nouvelle offensive au Nord Ouest de Hanoï, entre la Rivière Rouge et la Rivière Noire et dont l'objectif principal est le poste de Nghia Lo. Cette bataille qui se déroule du 28 septembre au 10 octobre est décisive et brise définitivement l'offensive de Giap. 

Photo publié avec l'aimable autorisation de Ronan de Bellecombe

Le Capitaine Hélie Denoix de Saint Marc, est alors engagé avec la CIPLE au plus fort des combats, qui se déroulent dans une décor montagneux et luxuriant aux collines escarpées, et le hommes aux âmes dénudées par la guerre, vont se fondre et se confondre dans ce décor mythique des montagnes du Vietnam.


"Composer avec l'ordre du monde"

A la guerre, que seuls les combattants peuvent comprendre objectivement, on dit souvent "le terrain commande", et cet adage n'est pas seulement une réalité stratégique, tactique ou technique... et l'environnement dans lequel le soldat se fond et se confond, imprègne son éthique en lui imposant ses règles immuables. 

Alors qu'autrefois, l'hiver ou un sommet pouvaient décider du sort d'une guerre ou d'une bataille, aujourd'hui, même s'il influence toujours ses choix, l'armée moderne cherche a se soustraire des contraintes du terrain. L'aviation devient les "sommets" dominant les champs de bataille, les satellites et les drones remplacent les observateurs, et les bombardements peuvent même effacer une forêt de la carte... 

Mais le Vietnam hier, ou l'Afghanistan aujourd'hui, sont là pour nous rappeler que le terrain commande et commandera toujours, et peut donner la victoire à ceux qui le respectent et s'imprègnent de son ordre. 
L'esprit qui doit animer un combat ne peut être que localiste et traditionnel Et le soldat, même moderne, ne dominera son adversaire que s'il comprend son paysage, car ce dernier est le creuset de sa culture, son mental, sa volonté et donc de sa perception du combat

Les guerres récentes sont des victoires de la technologie plus que de la volonté, et aujourd'hui les talibans dans leur montagne ou les touaregs dans leur désert continuent de défier la suprématie technologique et l'orgueil du Nouvel Ordre Mondial. Car les combattants, comme ceux des forces spéciales par exemple, qui, sur le terrain composent encore avec les pentes escarpées, les espaces découverts, ou l'obscurité des forêts, savent que la victoire finale est aussi et surtout une affaire d'adaptation au terrain, de volonté guerrière, et d'humilité humaine...

Ainsi de l'Indochine, lors de cette bataille du Tonkin en 1951, où l'intensité de la guerre n'a d'égale que celle de la nature où elle souffle, et le combattant s'il veut dominer la première doit comprendre et se soumettre à la seconde afin de "se retrouver dans un élément à la hauteur de ses émotions intérieures."

Erwan Castel, Régina le 24 janvier 2014


" Les paysages nous attirent dans la mesure où 
ils sont le miroir de notre perception intérieure." 


" Je pourrais décrire pendant des heures ces étranges montagnes de la Haute Région qui se dressaient abrupts comme des rochers en pleine mer, ces reliefs déchiquetés, ces cathédrales de jungle perdues dans le ciel nuageux. Il était impossible de trouver un arpent de terre sans un torrent de mousse. On y voyait des arbres qui semblaient plantés dans l'eau. jamais je n'ai rencontré une nature aussi violente. "

NGHIA LO - 1951 - Photo publiée avec l'aimable autorisation de Ronan de Bellecombe

" Les montagnes du Tonkin étaient un livre ouvert, dans lequel je cherchais à comprendre le sens de la condition humaine. En déportation, j'avais connu la démesure des hommes, cet absolu du mal qui demeure en chaque être humain. La jungle était aussi violente et insensée que la folie de Buchenwald. Mais sa fécondité était à la hauteur de son pouvoir de destruction. "

NGHIA LO - 1951 - Photo publiée avec l'aimable autorisation de Ronan de Bellecombe

" Nous pouvions marcher des jours entiers sous les arbres comme si nous étions dans la nuit, dans l'humus, dans l'eau qui suintait de la pierre, au milieu des cris des oiseaux et des odeurs magnifiques. J'avais parfois l'impression qu'en posant la main contre un tronc d'arbre, j'aurais pu sentir battre la sève. Je me retrouvais dans un élément à la hauteur de mes émotions intérieures. 
(...) Les calcaires de la Haute Région empêchaient l'homme de se croire le maître des choses. que pouvait espérer un homme seul face au déchaînement de la mousson ou à la force des lianes qui pouvaient briser les rochers ? "

NGHIA LO - 1951 - Photo publiée avec l'aimable autorisation de Ronan de Bellecombe

(...) " Vivre dans ce décor-là obligeait à composer avec l'ordre du monde. La volonté de puissance était absurde. Les hommes de ce pays possédaient ainsi une sagesse que je n'ai retrouvé nulle part ailleurs. (...) Vivre et mourir ne sont qu'un seul élan, et l'éternité se lit dans l'instant. La nature les prévenait de ces illusions qui sont les nôtres. Ils étaient provisoires car la puissance n'est pas humaine. " 


" Les seuls édifices qui tiennent sont intérieurs. 
Les citadelles de l'esprit restent debout plus longtemps que les murailles de pierre. "


VIETNAM -1996 - 
Jacques Allaire et Hélie de Saint Marc sur la route des souvenirs
Photo publiée avec l'aimable autorisation de Ronan de Bellecombe


Les extraits sont du livre  "Les sentinelles du soir" de Hélie de Saint Marc - Edition Les Arènes 1999


dimanche 12 janvier 2014

Quand l’obéissance n’est plus une vertu, elle peut être un crime

Pour la page "Articles"

L'article en format PDF ici : HDSM 2014-01 - BSC news

La source de l'article : 
http://www.bscnews.fr/201401113418/Biographie/quand-l-obeissance-n-est-plus-une-vertu-elle-peut-etre-un-crime.html


mardi 7 janvier 2014

Waldgänger !

LE RECOURS AUX FORETS



Hélie Denoix de Saint Marc, dans ses pensées et ses actes, comme à travers son parcours de vie semble bien être à la croisée des figures essentielles relevées par Ernst Jünger, dont il partageait à la fois une destinée héroïque, une âme noble, un comportement courageux et des valeurs élevées.

Comment traduire un héritage et le projeter vers l'avenir sans l'altérer ni trahir son auteur ? Telle est la question que je me pose lorsque j'observe l'actualité à l'aune de mes lectures... Jünger, Hélie de Saint Marc, Alain de Benoist... et tant d'autres qui nous désignent par l'exemple ou la réflexion héroïques le chemin à suivre... Mais, trouverons seulement l'ombre de leur courage...
Ernst Jünger nous laisse une oeuvre immense d'où surgisse des figures, véritables piliers de la société humaine mais aussi repères dans une réflexion philosophique, païenne et rebelle :

- L'OUVRIER, "le principe technique qui s'épanouit"
- LE SOLDAT, "le sacrifié qui porte les fardeaux"
- L'ANARQUE, "l'homme libre qui refuse l'ordre social et politique"
- LE REBELLE, "le proscrit qui forme le dessein d'engager la lutte"

"Le recours aux forêts mène à de graves décisions. Le Rebelle a pour tâche de fixer la mesure de liberté qui vaudra dans des temps à venir, en dépit de Léviathan, adversaire dont il n’entamera pas le pouvoir à coups de concepts." Ernst Jünger, "Le recours aux forêts

(* WALDGANGER désigne un proscrit islandais parti se réfugier au Moyen Age, en forêt pour continuer la lutte. Le mot français le plus proche communément adopté pour sa traduction est "rebelle".)

Alain de Benoist nous brosse en 2002 le portrait du rebelle, de son évolution et du rôle qu'il doit jouer dans le monde moderne, fer de lance d'un contre pouvoir face à la globalisation libérale et sa pensée unique...

Le texte de la conférence (Paris janvier 2002) ici :

Sur le blog "Alain de Benoist"
http://alawata-alaindebenoist.blogspot.com/2014/01/rebelles-et-rebellions.html



Bonne journée à vous tous !
                                                                                                                         Erwan Castel,  Cayenne le 7 janvier 2014 

lundi 6 janvier 2014

Bonne année nouvelle !



Un nouveau cycle solaire commence, aussi je vous adresse mes meilleurs vœux pour cette nouvelle année où je vous souhaite santé physique et morale... 

Je souhaite surtout que le souvenir et l'exemple d'Hélie Denoix de Saint Marc inspirent nos actes et nos pensées...

Lorsque la dépouille du Commandant était portée en terre, ce sont des semailles de sagesse qui s'accomplirent dans le secret de nos cœurs. Après le temps du deuil et des hommages, vient maintenant le temps de la moisson, du partage et de l'action, car les temps historiques qui s'annoncent à l'horizon orageux de nos vie réclament plus que jamais notre veille et notre fidélité aux héros qui nous ont montré le chemin...

Mes pensées amicales les plus sincères, à la famille et aux proches du Commandant et mes amitiés fraternelles à tous ceux qui entretiennent avec tenue et retenue le souvenir de cet homme d'Honneur, qui nous a laissé en héritage un exemple élevé d'une véritable noblesse de cœur, de grandeur d'âme et de bravoure d'action ! 

Bien à vous et à bientôt
                                                                                                                       Erwan Castel, Régina le 6 janvier 2014